En montant dans la ligne 6 je m’aperçois qu’on y sent encore la même odeur qu’il y a 30 ans, une sorte d’odeur chaude de pain grillé et de métal chaud, à l’époque où je prenais le métro pour la première fois, tenant la main de mon père, arrivant de notre village du 62 à la Gare du Nord pour aller Porte de Versailles voir l’exposition Retromobile. Cette odeur est toujours la même et elle devient pour moi un parfum. Où s’arrête l’odeur et où commence le parfum? Est ce qu’un parfum est une odeur agréable ? Est ce qu’une odeur est un parfum désagréable ? Il y a de bonnes odeurs pourtant et des parfums nauséabonds ! Pour moi l’odeur du métro est un doux parfum, et si je ferme les yeux, les grincements des wagons dans les virages et ce parfum caractéristique me transportent 30 ans en arrière et je sens dans ma main le petit doigt de mon père que je serrais fort dans la foule colorée et parfumée du monde parisien. Aller à Paris avec mon père c’était aller en Amérique, allez sur la lune quand on vient de Cucq . Je suis heureux que ce parfum persiste. Aujourd’hui je fais des photos pour garder des images, je fais des prises de sons pour capturer ce qui est sonore, je voudrais tellement qu’on invente un appareil capable de capturer des odeurs et des parfums, j’aimerais tellement avoir dans une boite l’odeur de mille choses gardées précieusement: la blanquette de veau de ma mère, le lambris chaud des soirs d’été dans ma chambre d’enfant. L’odeur électrique de l’amstrad. Le fer à repasser, la collection de gommes fantaisie de ma soeur, l’odeur du pigeonnier, du tonneau de grains. Les gauloises brunes… Le nez est un merveilleux organe capable de stocker des milliers de souvenirs très précis. Comme si nous étions capables de voir dans nos têtes des images extrêmement précises du passé au point de les ressentir physiquement. Faire l’expérience d’un souvenir olfactif est souvent extrêmement intense et violent car il s’agit d’une information directe quasiment du domaine du réflexe. Bizarrement on peut aujourd’hui entendre la voix d’une personne décédée, voir une vidéo d’elle bien vivante, et cela ne nous émeut pas outre mesure, mais sentir dans une foule le parfum de quelqu’un disparu, ou d’un amour ancien nous met dans un état émotionnel extrême. Cela touche directement nos sensations physiques, il n’y a quasi aucune interprétation … Ce qui est amusant c’est que souvent l’enregistrement d’un souvenir olfactif se fait en « tache de fond » « en arrière plan » d’un instant que l’on est en train de vivre, l’oeil étant l’organe principal d’enregistrement, lorsqu’on vit un moment fort, on ouvre grands les yeux comme pour faire entrer dans nos têtes un maximum d’images de ce moment, mais les odeurs passent complètement à la trappe de notre perception directe. Cependant, 10 ans après, vous pouvez revoir un endroit où vous avez vécu des moments intenses sans le reconnaître, mais une odeur, elle, même si vous pensez n’en avoir aucun souvenir, vous sautera à la gorge et vous replongera instantanément dans cet instant.
Je ne sais pas si ce phénomène ne concerne que moi, mais je pense que l’intensité des souvenirs olfactifs est bien plus élevée que les souvenirs générés par les autres sens.