Richard Boulanger
toi sur moi
aussitôt la rue devint plus large
les immeubles moins hauts
je t’emmenais sur mes pieds
tes pieds sur les miens
j’avançais à reculons mais en confiance
tu me dictais la direction
à notre passage les gens s’écartaient
un jeune homme en costume d’agent exécutif
nous insulta dans un langage administratif
réaction de haine compulsive
une vieille femme en gilet tricoté
admira notre fantaisie
je t’emmenais sur mes pieds
tu me menais par tes yeux
nous étions tout un tous les deux
mes pieds à l’envers de la marche
zigzaguèrent périlleusement
jusqu’à ce que je tombe sur les pavés devenus sable
et toi sur moi
soudain par l’heureux choc
nos sourires se sont scellés l’un à l’autre
des écoliers sortis du musée nous applaudirent
le clochard réveillé siffla et fit danser son fidèle ratier
la fleuriste nous jeta une grappe de mimosa
un chauffeur de taxi avant d’aborder la dune
nous honora de trois coups de klaxon
toi sur moi
nous laissâmes nos langues se battre en duel
leur franchise se perd en paroles
aucun mot n’a jailli de notre délicieuse étourderie
la rue se colora d’un camaïeu nuancé d’ocres rares
de la vigne et des rosiers s’élevèrent sur les façades
les caniveaux parallèles s’épanouirent en rivières
une faune nouvelle et paisible apparut
toi sur moi
nous deux couchés sur un trottoir disparu
je ne respirais que par ton souffle
car ton haleine bonifiait l’air
tant et si bien que je me sentis rajeuni
puis nous nous relevâmes
lentement mais déjà
puisqu’il nous fallait nous quitter
comme dans une anecdote
qui finira non pas en souvenir
mais en rêverie
ne pas attendre le déclin certain
pour bien conclure
cela serait alors impossible
trop tard