J’en ai deux assez furieux …
1- Ne pas avoir vu Glenn Gould en concert. (Il arrête sa carrière de concertiste en 1964…)
Pour me consoler je regarde des videos comme celle-ci:
2-ne pas avoir vu Keith Jarrett en concert. (Il a mis fin à sa carrière en 2018, suite à 2 AVC…)
Pour me consoler je regarde des videos comme celle-ci:
Je crois que ce n’est pas anodin cette passion que j’ai pour ces deux immenses musiciens… Je crois qu’ils représentent (à mes yeux) tout le mystère humain… Ce que l’humain peut donner non pas de mieux, mais de plus beau. C’est un peu difficile à expliquer, mais je vais essayer.
Regardez les jouer, le premier joue Bach, les variations Goldberg qui sont une des pièces les plus techniques du répertoire, et ce n’est pas seulement le fait qu’il les joue sans partitions qui me rend fou, mais parce qu’il les vit littéralement, regardez comme il ferme les yeux et chantonne les phrases… Il fait corps avec cette musique, son corps tout entier est au service de la musique de Bach, son cerveau est en lien direct avec le clavier, il n’y a plus d’effort, plus de travail, il joue comme – passez moi l’expression – il fait l’amour – son corps et son esprit fusionnent pour créer un outil et des mouvements dont le seul but est une sorte non pas de perfection, mais d’osmose, de transe quasi automatique qui va aller chercher … Le plaisir ! Parce que oui, ces deux musiciens nous livrent quelquechose de précieux à propos de la musique… Au delà de la technique, au delà du travail, au delà de la maitrise d’un instrument, de sa qualité etc… Il y a une recherche de plaisir.
Regardez Keith Jarrett jouer, lui également joue sans partition car il improvise complètement ce qu’il joue, et c’est également incroyable, regardez le se tordre, regardez le lutter, regardez le se pâmer au fur et à mesure que la musique sort de sa tête et se propage le long de ses bras, jusqu’à ses doigts, sur le clavier, mais regardez tout son corps pousser cette musique, tout son corps accompagne son cerveau, on a réellement l’impression qu’il est aux prises avec un être invisible, dans une danse qui est à mis chemin entre la lutte et l’amour.
Il ne triche pas, il ne joue pas la comédie comme le font parfois certains pianistes en se donnant des airs extatiques, chez Jarrett ou Gould on voit clairement que leur jeu est une question physique… Jarrett danse devant son clavier, il souffle, il suffoque, chante, éructe, grogne, gémit… Oui, soit il se bat, soit il fait l’amour avec sa musique… Il ne regarde quasiment jamais ses mains qui jouent presque librement, on a l’impression qu’il est le fusible entre son cerveau et le clavier et qu’il tente physiquement de contrôler ce qui lui arrive pour le transformer en musique… Comme si il était habité par des esprits… Il bouge comme un animal, comme un dément. comme si il était sous l’emprise d’une drogue puissante. C’est extrêmement troublant… Emouvant.
Voilà de quelle beauté je voulais parler plus haut… Cet état d’humanité qui est sorti du rail, qui a brisé toutes les chaines des conventions sociales pour se livrer à ce que j’appellerais des transes primaires, les mêmes qu’on peut observer dans certaines danses africaines qui s’effectuent dans un état second, un état dans lequel on doit se libérer de presque tout ce qui fait de nous des humains … Il faut redevenir une sorte de créature presque sauvage … Ces deux là sont des exemples de ce qu’on fait de plus beau en terme d’humain… Pas pour leur côté social (apparement ils etaient assez invivables au quotidien) mais dans cette capacité à rassembler leur corps et leur esprit au service du beau. Devenir un outil. Le prolongement du piano …